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Entretien avec Sophie Blondy, danseuse, actrice, scénariste, réalisatrice. Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe.

Sophie Blondy a de nombreux talents artistiques. Ce qui attire quand on la rencontre c’est sa grâce et son regard bienveillant. Sa grâce lui vient de la danse qu’elle a pratiquée avec les plus grands, son regard est celui avec lequel elle filme ses acteurs, actrices, et celui qu’elle porte sur la vie. Sophie Blondy nous fait l’amitié de nous accorder cet entretien, de nous emmener dans son vécu et son imaginaire.


Vous débutez votre parcours artistique avec la danse que vous pratiquez dans la mythique compagnie de Maurice Béjart. Que vous a appris cette expérience unique avec cet immense chorégraphe de renommée mondiale?

C’était un rêve et j’ai travaillé dur pour rejoindre le monde de Maurice Béjart. Il était un Maître, un précurseur tellement inspiré et terriblement exigeant. Je garde en moi tout cet apprentissage de l’expression du mouvement dans la dimension qui était la sienne. La danse est aussi une discipline de chaque instant et cela m’a enseigné la rigueur absolue. Béjart ne parlait que du travail et l’exigence de son enseignement me portait à me dépasser jour après jour .
C’est une excellente école. Nous devions être des artistes complets. Le chant, le théâtre, les percussions, le rythme, nous étaient enseignés par des professeurs du monde entier.
Nous suivions aussi des cours de danse contemporaine, indienne et de flamenco.
C’était d’une richesse incroyable et cela continue encore à me nourrir aujourd‘hui.

Comment êtes-vous passée de la danse à la réalisation de documentaires et de films?

Le cinéma m’a toujours interpellée dans le sens de l’expression profonde de la pensée en images.
Chez Béjart, je fréquentais déjà les étudiants de l’Insas (L’école supérieure des arts du spectacle et des techniques de diffusion et de communication de la Fédération Wallonie-Bruxelles) et je tournais dans leurs courts métrages. Faire un film, c’était comme «faire la révolution» dans le sens artistique et poétique du terme. Pour moi, la danse et le cinéma sont liés et se rejoignent dans l’expression et le témoignage qu’ils proposent. Tout comme la musique, la peinture.
Le cinéma, c’est ce qui rassemble tous les arts, c’est magique. C’est un outil infini .
Après mon contrat terminé chez Béjart, j’ai commencé à travailler comme assistante sur des films et j’ai beaucoup appris. J’observais énormément et j’ai fait de vraies rencontres qui m’ont guidée, enseignée. Je trouvais aussi les adresses de grands cinéastes et je leur écrivais, ils me recevaient, et j’ai eu cette chance qu’ils m’accordent du temps et qu’ils suivent l’évolution de mon travail …
J’ai commencé à réaliser des portraits de musiciens de la rue comme «L’accordéoniste», et aussi «Les enfants de Paris» dans différentes écoles de quartiers.
Avec «La cité des éboueurs» j’ai souhaité aussi témoigner du quotidien de ceux qui prennent en charge nos déchets, qui nettoient la ville alors que tout le monde dort.
Puis «les petits métiers de Paris», sur des artisans qui créent leur propre travail.
L’aventure cinématographique a commencé comme ça .

Vous manifestez une formidable détermination pour faire aboutir vos projets cinématographiques et rencontrer les artistes que vous admirez et que vous avez choisis tels que Guillaume Depardieu pour votre premier long métrage «Elle et Lui au 14e étage», Denis Lavant, Iggy Pop pour votre film «L’Étoile du jour».
D’où vous viennent cette énergie et cette hardiesse créatrice?

On ne peut pas faire de cinéma sans une détermination farouche. Surtout quand on désire proposer quelque chose de nouveau. «Se battre» est un faible mot tant le voyage est long et difficile mais il est aussi merveilleux. C’est une quête soutenue durant des années pour faire émerger un film. La ténacité est quotidienne pour trouver les partenaires financiers, un bon producteur. La rencontres avec les artistes est le moment le plus fort, le plus beau. Il vient de l’inspiration, comme l’écriture. On pense, on rêve à un acteur, une actrice, et les rencontres sont des moments de grâce. Il s’agit bien là de correspondances, d’une évidence en particulier. On se choisit réciproquement. C’est au-delà de faire un film, c’est partir ensemble dans un voyage hors du temps et s’unir au service de…
Guillaume Depardieu a été le premier à me faire confiance, à me comprendre.
Il était un être lumineux, spectral, un immense acteur. Je pense à lui chaque jour.
L’énergie qui me porte est la force de croire en mes rêves.
Cela part d’un appel intérieur. J’écoute mon cœur.
Et vient la persévérance, le courage, chaque jour, de soutenir et de nourrir les efforts.
La vie est tellement inventive, alors garder le cap, continuer «contre vents et marées».
Et il est vrai que je crois aux miracles . Être vivant déjà en est un!


Vous avez collaboré avec de grands réalisateurs avant de passer vous-même derrière la caméra, ont-ils eu une influence sur votre manière de réaliser? Dites-nous ce qui caractérise votre direction d’acteurs, votre rapport à l’équipe technique, et pourquoi vous tenez à être au cadre.

J’ai eu cette chance d’apprendre auprès de «grands», de pouvoir les approcher et de saisir leur conception de réalisateur, leur «mise en vie» personnelle de l’œuvre en cours.
C’est une grande école de pouvoir échanger sur le point de vue, la traduction en images d’une pensée, d’une émotion, de pénétrer ainsi la mise en conception du film.
J’ai été enseignée par Zulawski, John Berry , Tran anh Hung .
À emergence*, initiée par la générosité d’Elizabeth et Gérard Depardieu, j’ai pu rencontrer des réalisateurs et des parrains d’exception tels que Youssef Chahine, et Ettore Scola qui m’a suivie des années durant. Jean-François Stévenin, Patrick Grandperret, qui me soutenaient dans «l’électron libre» que j’étais, que je suis. Une aventure incroyable!
L’événement marquant a été aussi d’être reçue par Robert Bresson durant toute une année.
Le grand Maître éclairé et éclairant. La grande révélation!
Il m’a accordé de son temps par des entrevues régulières et cela m’a tant instruite, autant sur le plan de la vie que sur la création en images de celle-ci.
Ses «Notes sur le cinématographe» ne me quittent pas.
Jean-Loup Dabadie qui vient de nous quitter, avait vu mon premier long métrage «Elle et Lui au 14e étage» et m’avait consacré un long temps pour en parler. Lui et ses talents multiples, son sourire étincelant et sa bienveillance. Il parlait de «la modernité de mon film, intemporel et inclassable» et m’encourageait avec enthousiasme.
Être cinéaste, c’est avoir un regard, c’est pour cela que je construis le cadre et que je travaille en étroite collaboration avec le chef opérateur. Avoir l’œil, percevoir : c’est évident pour moi d’être derrière la caméra (et même quand je joue dans le film, j’ai un petit combo de retour dans ma poche). C’est une histoire de maîtrise, pas de contrôle. Je fais aussi beaucoup de répétitions.
Réaliser, c’est être un chef d’orchestre qui unit toute une équipe à la partition d’un film en devenir. C’est porter le talent de chacun au meilleur du possible au service de cette partition.
J’aime la direction d’acteurs, c’est comme une histoire d’amour. Chacun fait un pas vers l’autre.
Certains acteurs posent des questions. D’autres s’isolent. Et parfois tout se dit sans se dire, juste dans un silence, un regard, un geste. C’est magique! Moteur! Et tout se met en vie, l’imaginaire s’incarne là, on assiste à cette naissance qui vous dépasse bien souvent, et c’est le bonheur.

Quelle est la place de la musique dans vos films?

La musique se compose, s’allie et s’impose aux images. Elle peut révéler un film.
Dans mes films, elle n’a jamais été composée avant.
Pour le prochain, ce sera différent et une nouvelle expérience.
Un compositeur peut sentir votre film de l’intérieur et l’amplifier.
J’ai travaillé en joie avec Jm Ba ‘ (remarquable musicien), Joseph Racaille, et Steve mac Kay (le saxophoniste des Stooges) et aussi avec un jeune compositeur Mathieu Gauriat.
Composer est un mystère et j’ai une grande admiration pour les musiciens.
Jouer, chanter, c’est la liberté absolue.

Votre film «l’Étoile du jour», conte onirique dans l’univers du cirque, merveilleusement interprété par Denis Lavant, Tchéky Karyo, Natacha Régnier, Béatrice Dalle, Bruno Putzulu, et par Iggy Pop, incroyable dans le rôle de «la conscience», a été sélectionné dans plus de 28 festivals et continue à faire le tour du monde. Comment est né ce film dont le casting, la réalisation, la production ont été une véritable aventure?

Denis Lavant a tout de suite accepté le rôle d’Elliot dans «l’Etoile du Jour». Il est d’un autre temps et vous emporte dans son «ailleurs», sa poésie. J’aime son exigence, sa rigueur.
Nous avons commencé à répéter dans une petite salle de quartier à Montmartre pour les répétitions et l’histoire est née. C’est fabuleux, son inventivité, sa conscience de travail.
C’est un baladin éternel, un gavroche qui ne laisse rien passer.
La pureté aussi, comme Guillaume Depardieu, comme Iggy Pop.
Ce sont des êtres «bruts», au sens noble du terme.
Un jour, j’ai vu une affiche d’Iggy Pop dans la rue et une idée en flash puissant m’est venue : Il pourrait incarner la «Conscience» d’Elliot jouée par Denis Lavant.
A ma grande surprise, tout s’est passé très vite.
J’ai envoyé une bouteille à la mer… et son manager Alain, m’a rappelée.
Iggy aimait mon premier film avec Guillaume Depardieu et le sujet du film à venir. De plus, il rêvait de tourner avec Denis Lavant! Comment aurais-je pu le deviner?
C’était la première fois qu’il acceptait de tourner dans un film français et même européen… Je crois qu’on peut parler de «miracle!».
Les grands artistes vous portent au-delà de vous-même, ils sont d’une grande clairvoyance.
Avec eux vous ne pouvez pas tricher, c’est ça le cadeau.
Intègres, engagés, authentiques, généreux, ils n’ont pas vendu leur âme au diable.
Ils offrent une telle dimension aux rôles que vous leur proposez!
Et voilà cette chance de travailler avec Tchéky Karyo, artiste entier, curieux, inventif, audacieux qui porte le projet autant que vous.
Béatrice Dalle qui ne veut pas lire le scénario. Elle privilégie la rencontre et la nôtre était directe, douce, profonde, frontale. J’aime cette femme libre, sauvage, totale et d’une telle sensibilité. Elle invente un monde.
Bruno Putzulu est lui aussi un acteur instinctif et totalement consacré.
Quant à Iggy Pop, c’était simplement stupéfiant de naturel, d’écoute, de professionnalisme.
C’est un être surnaturel, habité, un «mythe», une grande présence et pourtant si accessible.
Il est recueilli dans le travail, il cherche, explore…
Je n’en revenais pas qu’il soit là, c’est comme si nous nous connaissions depuis toujours, ce qui est troublant. Il me disait que «faire un film indépendant comme celui-ci demande une vraie hargne, un courage et une sacrée audace». On riait aussi beaucoup, car il a de l’humour. De l’humour et de la gentillesse, la vraie. Il me protégeait.
En ce qui concerne la production, l’aventure a été douloureuse.
Le producteur a disparu en plein milieu du tournage.
Personne n’a quitté le navire mais je me suis retrouvée seule à la barre! Quelle responsabilité envers toute une équipe …
Les années de tribunaux ont pu tout régulariser et ma consolation, la victoire aussi est que le film existe. Je ne souhaite que retenir cela et aller de l’avant, ne plus parler des mauvais souvenirs.
Mes deux films ont subi des injustices et des abus de production.
La prochaine fois, je serai plus vigilante.


Pour quel projet avez-vous été accueillie à la résidence d’écriture à la Villa Médicis, l’Académie de France à Rome, et comment avez-vous vécu cette expérience dans un lieu unique?

J’ai été accueillie à la Villa Médicis pour un projet d’adaptation des «Lettres à Lucilius» de Sénèque. Projet que je porte depuis plus de vingt ans et pour lequel, déjà, j’avais été sélectionnée à emergence*. C’est un projet ambitieux mais la philosophie de Sénèque est tellement moderne.
J’ai été immergée dans le cœur de Rome ou plutôt sur une de ses collines près de la Sainte Trinité.
La Villa Médicis, c’est l’Académie de France, c’est prestigieux, imposant, unique, et chargé en histoire. Muriel Mayette, la Directrice m’y avait reçue chaleureusement, défendant le lieu au travail consacré. Elle avait raison, la Villa est somptueuse, riche en événements culturels, (et notamment «les jeudis de la Villa» qu’elle a créés) mais c’est avant tout une résidence monastique. Y travailler s’impose en rigueur. Y vivre est très imprégnant. Et Inspirant en toute évidence … J’ai pu y approfondir l’écriture en cours et y faire des rencontres pour le projet à venir.
Faire des repérages aussi. Vivre à Rome est très intense. C’est une cité organique.
Cette expérience unique m’a portée à reconsidérer une certaine vision que j’en avais.
Un «passage» donc avec la transformation de tout ce qu’on peut en attendre.

Quels sont les projets que vous souhaiteriez réaliser après la période inédite liée au Covid-19, qui a bouleversé nos relations sociales, nos pratiques culturelles et cinématographiques?

J’ai été confinée, seule à Paris. Une grande période riche en introspection, en réflexion aussi sur le monde, notre société, la vie, la mienne.
J’ai commencé à écrire un livre dès le premier jour.
J’ai transformé la contrainte en fécondité en me mettant tout le jour à la table de travail.
Depuis des années je me promettais d’écrire un livre. J’ai rassemblé toutes mes notes éparses dans les carnets et j’ai commencé son écriture.
J’ai aussi travaillé par téléphone sur une adaptation théâtrale de mon prochain film, de nouveau avec Denis Lavant. Nous continuons à avancer, même dans cette période en suspens!
Je vais aussi me consacrer aux Ateliers de cinéma que j’ai mis en place car transmettre est fondamental pour moi. J’aime dispenser des formations et révéler chacun au meilleur de lui-même. Partager mon expérience et développer des stages à Paris et en Province.
Créer des spectacles aussi dans les villages, aller à la rencontre d’enfants, de jeunes, d’adultes mais aussi de personnes âgées.
Avoir recouvré les droits complets de mes films (et cela juste avant le confinement) va me permettre de les faire vivre, et aussi à l’international où j’ai déjà des propositions, notamment aux États Unis. C’est aussi sur ce territoire que je retrouverai Iggy Pop, dès que les frontières s’ouvriront, pour notre documentaire en cours.
J’attends «l’Après». Je souhaite que notre monde en plein bouleversement nous ramène collectivement à des motivations plus saines, plus respectueuses, plus essentielles et plus innovantes. J’espère que nous saurons ensemble réinventer un monde différent, plus humble, et où les richesses, dans tous les domaines, soient mieux partagées.
Que les vrais artistes aussi puissent s’exprimer avec plus de liberté, d’originalité et que le profit ne soit pas le seul but de la société. «Il y a tant de belles choses à vivre encore».

*emergence est une fabrique pour le cinéma et la fiction unique en Europe. Sa vocation est de soutenir la création, de révéler et d’accompagner des talents-réalisateurs, scénaristes, compositeurs, acteurs, techniciens, producteurs-de favoriser les nouvelles collaborations, de contribuer au développement des projets : www.emergence-cinema.fr

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