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Entretien avec Michel Drucker, animateur, producteur de Télévision, auteur de plusieurs ouvrages et artiste. Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe.

Cet entretien que Michel Drucker nous fait l’honneur, le plaisir et l’amitié de nous accorder est un véritable événement car c’est une personnalité hors norme, un pionnier passionné, le champion de la longévité et de la popularité dans ce monde difficile et concurrentiel de la Télévision française.

En effet, Michel Drucker est présent sur le petit écran depuis près de six décennies. Il a déjoué les tentatives de jeunisme de certains dirigeants, il a tissé un lien unique, « vital », avec les téléspectateurs toutes générations confondues grâce à son « goût des autres », et il a révélé de nombreux talents en leur offrant une première chance dans ses émissions.
Depuis quelques années Michel Drucker, qui est toujours aux commandes de Vivement Dimanche sur France 2 avec sa complice Françoise Coquet, assisté de sa chienne Isia installée sur le canapé rouge, monte également sur scène pour offrir à son public un spectacle très personnel au cours duquel il se raconte, et fait revivre à travers des anecdotes, des imitations, celles et ceux qui ont marqué son parcours.

Avec cet entretien Michel Drucker nous fait partager des temps forts de son immense carrière, sa vision de la télévision, mais aussi son état d’esprit, ses projets d’avenir après avoir subi une grave opération intervenue pendant la pandémie, et dont il s’est heureusement remis.

Que de chemin parcouru depuis le temps où, à cause de vos résultats scolaires, votre père répétait « Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi », et celui où vous regardiez passer le train Granville-Paris en rêvant d’y monter un jour. Vous dites « je suis né en arrivant à la télévision à vingt ans », quel est le souvenir le plus marquant de vos débuts ?

Le premier souvenir marquant est évidemment celui de mes débuts à la télévision, comme stagiaire, en juillet 1964, l’année des Jeux Olympiques d’été à Tokyo. À cette époque je faisais mon service militaire à deux pas du siège de l’ORTF (Office de radiodiffusion-Télévision française) situé rue Cognacq-Jay, et la première personne que j’ai croisée sur le trottoir, que j’ai osé aborder par la suite, c’était Catherine Langeais, la grande speakerine d’alors, qui était l’épouse de Pierre Sabbagh, l’un des créateurs du journal télévisé. À eux deux ils formaient le couple le plus influent et important de la télévision. J’ai continué à marcher et suis entré dans le café Lafon, à l’angle de l’avenue Bosquet et de l’avenue Rapp, qui existe toujours sous le nom du café de l’Alma, et là étaient assis à une table Léon Zitrone, Claude Darget, Raymond Marcillac, Thierry Roland, Georges de Caunes, ces hommes étaient tous des pionniers de la télévision, et ils allaient devenir mes maîtres, mes professeurs. J’avais une vingtaine d’année, et sans le dire au capitaine, je sortais assez tôt avec mon uniforme bleu de l’armée de l’air, et j’allais voir si je pouvais me rendre utile dans les couloirs de Cognacq-Jay.

Mais le moment fort de mes souvenirs, est celui de ma première apparition en janvier 1965 à l’antenne, tout tremblant, dans l’émission Sports Dimanche entre deux monstres sacrés de l’époque Léon Zitrone et Roger Couderc. Ce soir-là à 20h30, au fin fond d’une petite ville de Normandie, Vire, sous-préfecture du Calvados, il y avait un médecin en pleine consultation, c’était mon père Abraham Drucker, il était en pleine consultation car il travaillait toujours très tard même le dimanche. Il examinait une patiente en position gynécologique, et ma mère à l’étage était devant le poste de télévision. Quand je suis apparu à l’écran elle a hurlé à mon père « viens voir ! viens voir ! », et mon père est monté en abandonnant sa patiente dans cette position particulière pendant tout le temps de l’émission. Pour mes parents mon apparition télévisée a été un choc terrible, et une fois l’émission terminée mon père a décroché son téléphone, je ne sais pas comment il a fait, mais il a réussi à joindre mon patron Raymond Marcillac, et il lui a dit : « je suis le père du jeune Drucker le gamin que vous venez de mettre à l’antenne tout tremblotant, il est sans culture, il se ronge les ongles, et je vous demande de ne pas le remettre à l’antenne, vous allez avoir de gros soucis avec lui ».

Pendant ce temps-là, la patiente attendait que mon père revienne, et pour que l’anecdote soit complète, je dois vous raconter que plusieurs années après j’étais à Caen pour la sortie d’un de mes livres, et parmi les personnes qui attendaient ma dédicace, une dame s’est approchée et me dit : « je me souviens très bien de vos débuts car votre père m’a plantée sur la table d’examen, je ne vous ai pas vu, mais je vous ai entendu débuter ! ».

À l’antenne ce soir-là, gagné par l’émotion je m’étais mis à trembler, et comme je tenais mes feuilles avec les résultats sportifs à la main, tout le monde l’a vu à l’écran. Le lendemain dans l’autobus n°80 que je prenais place de Clichy pour me rendre à Cognacq-Jay, les voyageurs se sont retournés vers moi, et simulé mon tremblement avec leur journal ! Ce jour-là j’ai compris l’extraordinaire impact du petit écran.

Animateur des plus grandes émissions de variétés qui ont fait l’histoire de la télévision de divertissement : Les Rendez-Vous du dimanche, Star 90, Studio Gabriel, Champs-Élysées…et actuellement Vivement dimanche, vous avez reçu de nombreuses personnalités : artistes, politiques… Quelles sont celles qui vous ont particulièrement impressionné, et avec lesquelles vous avez tissé un lien particulier ?

De nombreuses personnalités m’ont impressionné à commencer par ma productrice Michèle Arnaud, qui m’a fait débuter dans les variétés à la télévision en 1966. Dans les années cinquante elle chantait dans le cabaret de la rive droite Milord l’Arsouille, accompagnée d’un jeune pianiste Serge Gainsbourg. Après avoir découvert ses chansons dont « Le poinçonneur des Lilas », Michèle Arnaud sera la première interprète féminine à enregistrer un disque avec les chansons du compositeur. Dans les années 60 elle deviendra productrice de variétés, et sera l’une des personnalités les plus influentes de la télévision de l’époque.

J’ai été marqué par ma rencontre avec Simone de Beauvoir, la grande prêtresse du féminisme compagne de Jean-Paul Sartre. Ma mère qui avait lu dans le Nouvel Observateur que j’allais la recevoir dans mon émission me fit cette réflexion : toi qui n’as pas fait d’études qu’est-ce que tu vas lui dire ? Maman je vais lui demander comment elle va, et comme l’émission est dans deux mois je vais lire tous ses ouvrages. Plus tard, j’ai montré à ma mère le petit mot que Simone de Beauvoir m’avait adressé pour me remercier, et me dire qu’elle garderait un bon souvenir de notre rencontre.

Il y a aussi Françoise Giroud, grande journaliste, patronne de l’Express, deux fois ministre à la condition féminine, et à la culture ; l’actrice iconique Jeanne Moreau, l’ex-impératrice d’Iran Farah Diba, le chanteur poète Leo Ferré…

Difficile de citer toutes les personnalités qui m’ont impressionné. En fait j’ai toujours été intimidé par les intellectuels et ceux qui avaient les diplômes que je n’avais pas. Ce sont mes complexes de l’enfance.

Je veux aussi mentionner le Président François Mitterrand que j’ai rencontré pour la première fois à l’occasion de ma remise de la Légion d’honneur en 1993. Il m’a impressionné par son autorité, sa présence, son charisme incroyable. Dans son discours de remise de ma décoration il évoquait mes parents, je lui ai alors présenté ma mère Lola Schafler d’origine viennoise. Le Président lui dit : il ne s’est pas mal débrouillé votre fils pour quelqu’un qui a quitté l’école à dix-sept ans, entre un frère ainé qui a fait l’ENA (École nationale d’administration), et un jeune frère interne des hôpitaux ; ma mère lui répond : j’ai été très émue par cette décoration Monsieur de Président, et j’espère qu’elle sera pour mon fils un encouragement à progresser. Le Président Mitterrand se retourne alors vers moi et me lance : avec une mère comme ça vous n’aurez jamais la grosse tête.

Il y a aussi des personnalités avec lesquelles j’ai tissé un lien particulier depuis de nombreuses années, et Jean-Paul Belmondo en faisait partie. C’est ma femme Dany Saval qui l’avait connu avant moi car ils avaient tourné dans le film Les Tricheurs de Marcel Carné.

Avec Jean-Paul on avait le sport en commun, et l’on jouait tous les samedis ensemble au football. Je connaissais sa mère et son père, le sculpteur Paul Belmondo. Les hasards de la vie font qu’il nous a quitté à cent mètres de chez moi car nous étions voisins, et il n’y a pas si longtemps, après mon opération du cœur, j’allais me promener avec ma chienne Isia, et je montais avec elle chez Jean-Paul tous les matins…

Il y a Céline Dion avec laquelle mon rapport est presque familial car elle avait quinze ans quand elle a débuté dans mon émission, et nous sommes restés très liés, elle a pris de mes nouvelles quand j’étais malade. J’étais allé sur le tournage du film Aline sur sa vie, réalisé et interprété par Valérie Lemercier, qui a été récompensée par le César de la meilleure actrice. Quant à Johnny Hallyday, entre nous c’était une longue histoire. Nous nous sommes rencontrés en 1963. Nous avions une relation quasi fraternelle, et le souvenir que j’ai de lui est à la fois très bon et très douloureux.

J’ai eu beaucoup de mal à contenir mon émotion quand j’ai conclu l’émission que j’ai faite en son hommage après sa disparition en 2017. Personnage hors norme, ses obsèques resteront dans la mémoire de tous les Français, la France entière était en deuil. Il ne voulait pas que je le voie les derniers temps avant sa disparition car il était dans son lit, très affaibli. Il m’a envoyé un petit mot qui disait « tu sais mon petit Michel j’ai été jeune pendant si longtemps que je ne me suis pas vu vieillir ». Même très affaibli Il a réussi à enregistrer son dernier album trois semaines avant sa disparition, et le diamant qu’il avait dans sa voix était resté intact. Il aimait les gens qui le lui rendaient bien. À chaque concert il se donnait entièrement à son public…

Et bien sûr il y a Charles Aznavour, mon voisin en Provence, il a chanté jusqu’à quatre-vingt- quatorze ans avant de nous quitter. Il se projetait dans le futur, et il m’avait proposé de présenter le gala pour ses cent ans, en me demandant de trouver une idée pour le lieu, et je lui avais suggéré la Place de la Concorde. Il s’y voyait et m’avait dit : on mettra la scène sur les Champs-Élysées à la hauteur de la ligne d’arrivée du tour de France comme ça j’aurai l’Arc de Triomphe derrière moi !

Souvent on me demande quand je vais arrêter de faire ce métier, et je réponds : mais quand je vois Line Renaud quatre-vingt-treize ans qui tourne, entre autres, plusieurs séries par an, et Hugues Aufray quatre-vingt-douze ans qui chante cinquante fois par an, je n’ai pas envie d’arrêter…

s vos débuts à la télévision votre challenge était de faire la carrière la plus longue possible. Que pensez-vous de votre réussite, et de votre présence à l’écran cinquante-sept ans plus tard malgré tous les changements, les évolutions intervenues ?

Quand j’ai rencontré mon patron de l’époque Léon Zitrone il avait cinquante ans, moi j’en avais vingt-deux. Le hasard a voulu, parce que le hasard a joué un rôle considérable dans ma vie, que je sois son voisin. Nous habitions tous les deux Place de Clichy, je le voyais de mon balcon. Il m’avait
pris en affection, et le matin je l’accompagnais en voiture, je le ramenais le soir. Le jour de son anniversaire je lui ai demandé : est-ce que je serai toujours à la télévision comme vous quand j’aurai cinquante ans ? Car je sens que j’ai le coup de foudre pour ce métier et j’aimerais le faire longtemps. Lui avait commencé sa carrière vers l’âge de trente-cinq ans. Il m’a répondu : si vous êtes encore à la télé à cinquante ans cela voudra dire que vous ne faites pas votre âge, que vous aurez beaucoup travaillé, et gardé constante cette envie de durer. Ayez pour spécialité de ne pas en avoir, soyez éclectique, et à peu près bon partout.

Lui était un exemple incroyable car il présentait le tiercé, le journal télévisé, il commentait le patinage, le Tour de France, Intervilles, il mariait et enterrait les têtes couronnées… Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi doué pour tout. Il avait une énorme puissance de travail, j’en sais quelque chose car je lui préparais souvent ses petites fiches, et à l’époque il n’y avait ni prompteur, ni oreillette (moi-même je ne m’en suis jamais servi), pas de portables, pas de Wikipédia…

J’ai tout appris avec lui, et j’ai toujours voulu m’installer dans la durée : j’ai toujours aimé les familles qui durent, les amitiés qui durent, les amours qui durent, les carrières qui durent, et pour ça il fallait cocher la case la plus importante celle de la santé, et jusqu’à il y a deux ans je les avais toutes cochées sauf celle-là.

J’ai tellement travaillé, je me suis tellement stressé, car ce métier est un métier d’inquiétude même si on ne le montre pas, que mon cœur a fini par lâcher. Et c’est grâce à mon régime : je ne bois pas, je ne fume pas, je fais du sport, que j’ai pu avoir la vie sauve. Le stress a eu raison de ma
santé… Je m’en suis sorti grâce à des chirurgiens exceptionnels, et j’ai lutté pour guérir. Le prix à payer de la durée c’est qu’à partir d’un certain âge le corps peut lâcher, et moi je l’ai trop sollicité avec mon travail, comme me l’avait recommandé Léon Zitrone.

Pendant mes cinquante-sept années de télévision j’ai connu une quinzaine de dirigeants entre le service public où je suis depuis cinquante-deux ans, et mes cinq années à Tf1 où j’ai été très heureux et j’ai beaucoup appris, mais je reste un enfant du service public.

Cinquante-sept années de télévision cela représente aussi trois générations d’artistes, de public, de journalistes … Quand je me déplace en province pour mon spectacle, les gens que je rencontre me disent qu’ils ont grandi avec moi. Ce qui me trouble le plus c’est d’avoir parmi les spectateurs à
la fois des gens de ma génération, dont beaucoup sont à la retraite depuis très longtemps, et des jeunes. Je m’aperçois que le cordon n’a jamais été coupé. Et quand des chanteurs de la jeune génération comme Gims, Angèle, Nolwenn Leroy, viennent me voir sur le canapé rouge de mon émission, eux aussi me disent qu’ils ont grandi avec moi. Certains avec les premières émissions des Rendez-Vous du dimanche, avec Champs-Élysées, et il y en a qui ont vingt ans aujourd’hui, et qui ont grandi avec Vivement Dimanche. C’est ça qui me donne le vertige, ces trois générations ! Dans mon nouveau spectacle « De vous à moi » je montre comment la jeune génération me voit sur les Réseaux Sociaux par exemple en Reine d’Angleterre, et ça me fait beaucoup rire. Je parle aussi des rappeurs, et sur scène j’esquisse quelques gestes de rappeur en disant : je kiffe et je rappe, je suis un kiffeur rappeur ! Le frère de la chanteuse Angèle, le rappeur Roméo Elvis est l’un de mes fans.

Qu’est-ce qui vous décide en 2016 à prendre le risque de monter sur scène pour présenter un spectacle : « Seul avec Vous », puis de repartir sur les routes de France avec un nouveau spectacle intitulé « De vous à moi » ?

Mon premier spectacle « Seul avec Vous » je l’ai joué plus de cent fois. Je l’ai joué en France, au Liban, à Tel-Aviv… Avec TV5 Monde, on a ce projet de faire le tour du monde des capitales où il y a des Français, et vous le savez mieux que personne Milvia il y a des Français partout qui me reçoivent grâce à TV5 Monde.

Ce qui m’a incité à monter sur scène c’est l’envie de savoir ce que ressentent celles et ceux que je présente dans mon émission, confortablement assis sur mon canapé.

J’étais curieux de découvrir ce qui se passe derrière le rideau avant l’entrée en scène, et d’éprouver l’émotion de me retrouver face au public avec pour seules armes ma mémoire, ma voix et mes souvenirs.

J’avais de l’appréhension, je me disais : les petits copains vont me tomber dessus car ce n’est pas mon métier, la presse va me massacrer, et il n’y aura personne dans les salles. Avant de me lancer j’avais demandé son avis à l’animateur, producteur de télévision et de théâtre Laurent Ruquier, qui m’avait encouragé à le faire : Michel allez-y sinon vous allez le regretter, même si vous avez cinquante personnes dans la salle vous saurez ce que c’est. Et je l’ai fait ! J’ai joué mon spectacle « Seul avec Vous » trois mois aux Bouffes parisiens, et tous les gens du métier sont venus me voir par curiosité, par affection, et ils m’ont dit : Michel il n’y a que toi qui pouvais faire ça, car tu es le seul avec plus de cinquante ans de télévision.
Je ne savais pas que mon spectacle ferait rire, et devant ce succès je me suis dit que j’allais en écrire un deuxième, et je l’ai fait, mais avec la Covid je n’ai pu le jouer que trois fois, et puis je suis tombé malade…

Mais maintenant j’ai repris mon nouveau spectacle, et j’ai déjà joué dans plusieurs villes.

Quelles sont les nouveautés de ce spectacle « De vous à moi » ?

Dans mon spectacle « De vous à moi » il y a un nouveau décor imaginé par ma fille Stéphanie avec un grand téléphone portable, et dans ce spectacle j’ai à la fois trente ans, et l’âge que j’ai aujourd’hui. Ce n’est pas un hologramme, ce ne sont pas des images détournées de moi il y a cinquante ans, ce ne sont pas des effets spéciaux.

À plusieurs reprises le jeune Michel apparait sur scène dans l’un de mes costumes que j’avais dans les années 70 dans Les Rendez-Vous du dimanche, c’est moi à trente ans, qui pose des vraies questions au Michel d’aujourd’hui, et les gens sont stupéfaits.

Le jeune Michel me dit au début du spectacle : « Tu as pris un petit coup de vieux » ! À dix reprises le jeune Michel me demande : raconte-moi tes ratés, tes regrets, tes rapports avec le public, les jeunes, les souvenirs que tu as avec untel, untel… et à la fin du spectacle c’est moi qui demande au jeune Michel « comment tu m’as trouvé ? », et je lui souhaite bonne chance pour sa carrière. Le spectacle se termine de façon émouvante et optimiste avec la chanson de Charles Aznavour « Nous nous reverrons un jour ou l’autre », et sur l’écran défilent tous les gens que j’ai croisés dans ma vie, et en toute fin je dis au jeune Michel : tu m’as rappelé mes trente ans aujourd’hui, si tu travailles bien tu pourras toi aussi faire une longue carrière, et même si de temps en temps tu doutes, tu es angoissé, ne t’inquiète pas, et comme le dit la chanson d’Annie Cordy qu’on entend, « Ça ira mieux demain ». J’ai voulu lui rendre cet hommage car j’étais à l’hôpital quand Annie Cordy nous a quittés.

Et au moment du rappel, quand je reviens sur scène, je lance mon « tube à moi », cet extrait que le monde entier connait, et qui me donne encore des cauchemars quand j’y pense : le face à face de Serge Gainsbourg avec Whitney Houston dans mon émission Champs- Élysées en avril 1986. Et je raconte ce qui s’est passé.

Vous, le grand sportif, l’hypocondriaque revendiqué, à l’automne 2020, en pleine pandémie, vous êtes hospitalisé pour être opéré d’un triple pontage à cœur ouvert suite à une septicémie. Comment avez-vous vécu ces moments difficiles, douloureux ?

Dans mon dernier spectacle je fais aussi référence à ce que j’ai vécu pendant mon hospitalisation. Les gens ça leur parle car qui n’a pas été une fois à l’hôpital, qui n’a pas eu d’antidouleur, de la morphine, connu l’angoisse de la réanimation après une opération, et comme j’ai failli y passer, car le pronostic vital a été engagé pendant plusieurs jours, je raconte aussi les états d’âme que j’ai éprouvés, mais je le fais de façon optimiste. Car j’étais vraiment mal en point.

J’ai eu une septicémie, une endocardite infectieuse de la valve mitrale, une bactérie a failli me détruire complètement, et au moment de m’opérer après un mois d’antibiotiques les germes étaient toujours sur la valve. Après m’avoir débouché la jambe in extrémis, sinon on devait me la couper sous le genou, le chirurgien me dit : je dois vous annoncer une mauvaise nouvelle : on va vous opérer de la valve comme prévu, mais on va faire en même temps un triple pontage car malgré votre vie d’ascète vous avez les coronaires bouchées.

Je suis resté dix heures en salle d’opération, trois mois à l’isolement, puis trois mois de rééducation, et tout cela avec le virus de la Covid qui circulait.
Le cardiologue qui me suivait m’avait prévenu qu’il faudrait près de deux ans pour m’en remettre, et qu’en raison de mon âge ma vie ne serait plus la même qu’avant.

Six mois après, contre l’avis des médecins, j’ai repris mon émission Vivement Dimanche à la télévision, et un an après je suis à nouveau sur scène. J’avais peur de perdre ma mémoire qui est mon instrument. Et comme vous l’avez constaté Milvia il n’y a pas eu trop de déficits sur le plan
intellectuel !

Comment allez-vous aujourd’hui, et quels sont vos projets ?

Je me suis rétabli. Chaque matin je fais ¾ heures de rameur, c’est mon ami Jean-Claude Killy qui me l’a offert, ce qui est très bien car dans ce métier pour durer il faut savoir ramer ! Et puis le soir je fais entre dix à quinze km de vélo cardio soit une heure de sport chaque jour. Ce que je ne pratiquais pas quand j’étais plus jeune et en forme. C’est ce qui me maintient sinon je ne pourrais pas faire de la télévision et de la scène, compte tenu de mon âge, après ce que j’ai subi. C’est vrai qu’à un moment j’ai bien cru que je ne reviendrais pas. J’ai vécu cela de façon douloureuse car à l’hôpital j’ai découvert la solitude, le silence, moi qui aime parler, et dont c’est le métier. J’ai aussi découvert comment on lutte contre la douleur, la morphine, la nuit à l’hôpital… Moi qui suis fils et frère de médecin j’avais l’habitude d’être le visiteur, pas le visité, et voilà que j’ai passé plusieurs mois dans le service cardiologie de l’hôpital européen Georges Pompidou où j’étais déjà venu pour rendre visite à des amis qui ne sont plus là.

J’étais celui qui était dans le lit, et ce n’était plus du tout la même chose. J’ai mesuré le travail absolument colossal des infirmières dont je parle dans mon livre « Ça ira mieux demain ». C’est vrai que je continuerai toujours à me faire du souci parce qu’on ne peut pas faire ce métier sans stress, mais maintenant ce n’est plus pareil, il y a un avant et un après, et chaque jour qui passe est un cadeau de la vie. J’apprivoise mon stress, j’ai pris beaucoup de recul.

Je veux dire aussi que la Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, et son numéro deux Stéphane Sitbon-Gomez m’ont apporté un soutien sans faille pendant toute cette période où j’allais mal. Quand ils m’ont rendu visite trois jours avant mon opération, je leur ai dit que je ne reviendrai pas à l’antenne, que j’aurai certainement des séquelles suite à mon intervention. En effet, la veille de l’opération, l’examen général avait révélé des petits saignements au cerveau qui représentaient deux risques d’AVC. J’ai prévenu les chirurgiens : soit je reviens plus fort qu’avant, sinon je ne reviens pas.

Ma guérison a été un véritable parcours du combattant, j’ai beaucoup gambergé mais j’ai beaucoup appris, et j’en suis sorti plus costaud. Ma vie de sportif de haut niveau m’a sauvée. À l’hôpital ils m’appellent l’extraterrestre ! Et comme c’était en pleine période de Covid je n’ai rien raté sur le plan professionnel car tout était à l’arrêt, plus de spectacles, plus d’émissions, et dès et que je me suis senti mieux j’ai écrit mon deuxième spectacle.

Et j’ai de beaux projets avec France Télévisions concernant l’évolution de mon émission Vivement Dimanche. J’ai décidé d’arrêter les gros prime time, car j’en ai tellement fait, je laisse ça à la jeune génération.

Je continue mes tournées avec mon spectacle « De vous à moi », j’ai une vingtaine de dates de prévues jusqu’au mois de mai, et ensuite je serai à Paris, peut-être au Petit Marigny, qui est une salle que j’adore proche de mon bureau, et je repartirai en tournée.

Si un jour je décide d’arrêter la télévision je continuerai à aller sur scène car c’est irremplaçable. Heureusement que je l’ai fait même sur le tard, car avoir le public devant soi, qui me témoigne de l’affection, procure une émotion beaucoup plus forte que celle d’être devant les caméras. Les gens
qui viennent me dire qu’ils m’aiment, qu’ils ont grandi avec moi, me donnent l’impression que je fais partie de leur famille, et c’est très touchant. Et ce contact avec le public est irremplaçable, moi qui ne suis pas parisien, je viens de la France profonde, j’ai grandi avec les vrais gens, je n’appartiens pas au cercle des « Bobos » de ce métier.

Dans ma carrière j’ai aussi été reporter sportif pendant cinq coupes du monde de football, j’ai commenté les championnats de foot allemand, belge, italien, je suis allé au Mexique en 1970 avec le célèbre footballeur Pelé qui jouait pour le Brésil contre l’Italie, en Allemagne à Munich en 1974,
j’ai commenté la coupe du monde en Argentine en 1978, celle en Espagne en 1982 avec Platini qui jouait, je suis retourné en Argentine en 1986… Cinq coupes du monde c’est vingt ans de ma vie, et être reporter sportif c’est être formé à la meilleure école du direct. Parmi le public de ma génération certains me parlent encore de mes commentaires de matches de foot.

D’ailleurs j’aimerais beaucoup revenir une dernière fois à mon premier métier de commentateur sportif à l’occasion des Jeux Olympiques à Paris en 2024 ! Car j’étais à la télévision en 1964, pendant les Jeux Olympiques à Tokyo. La Direction de France Télévisions y pense… Je fêterai alors mes 60 ans de carrière ! « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues » comme me disait mon ami le cinéaste Claude Lelouch.

Michel Drucker et sa fidèle Isia. © Guillaume Gaffio.

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