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Entretien avec Étienne Robial graphiste, directeur artistique, éditeur, producteur, enseignant.

Étienne Robial est un maître du graphisme, une référence dans son domaine. Il est le créateur des identités visuelles des plus grands médias : journaux, radios, chaînes de télévision, mais aussi d’institutions, d’équipes de football, de sociétés… Son travail fait l’objet de nombreuses expositions. Étienne Robial passionné par son art, est passionnant quand il en parle, quand il vous emmène dans son univers créatif.

Co-fondateur du Festival de la bande dessinée d’Angoulême, il a participé, avec sa librairie et sa maison d’édition Futuropolis, à la mise en valeur des auteurs de la bande dessinée.

À l’occasion de la sortie de sa monographie le 8 octobre dernier aux éditions Magnani, dont les 400 pages illustrées par plus de 2000 documents photos, croquis, issus de ses archives personnelles, retracent 50 années de son travail, Étienne Robial nous fait le plaisir de cet entretien.

Votre parcours professionnel commence par une histoire de dominos et de cocottes en papier.

Oui très tôt, j’ai eu l’obsession des carrés, des ronds dans les carrés, et la cocotte en papier qui s’inscrit dans un carré parfait.

Racontez-nous comment vous êtes devenu graphiste ?

Je voulais faire les beaux-arts pour devenir architecte. En 3ème année, j’ai réalisé que je m’intéressais plus au dessin des alphabets et aux couleurs plutôt qu’aux problèmes de porte-à-faux… mais le sens de la construction et de l’équilibre sont restés intacts.

Qu’est-ce qu’une identité visuelle et une charte graphique ?

Une identité visuelle est l’ensemble des éléments graphiques et visuels qui permettent d’identifier une marque. Tous ces codes d’identification sont rassemblés dans un cahier appelé charte graphique. Aujourd’hui on utilise le terme de cahier des normes de reproduction d’un logotype ou d’une marque. Les 3 + 1 éléments d’identification sont :

1 – la forme. 2 – la couleur. 3 – la typographie. (+ 4 – le son pour l’audiovisuel)

Pourquoi en 1972 décidez-vous de racheter la librairie Futuropolis?

C’est une opportunité qui s’offre à nous, avec Florence Cestac.

Futuropolis était une petite librairie déjà spécialisée dans la bande dessinée ancienne pour collectionneurs. Elle nous permettrait de financer nos projets d’édition (mon désir et mon envie), et de proposer une sélection d’images et de nouveautés internationales. Futuropolis sera la première librairie spécialisée en bande dessinée au monde. Je n’étais pas lecteur de bande dessinée, je ne le suis toujours pas… sauf pour les auteurs qui m’intéressent. Nous imposons la bande dessinée d’Auteur : Tardi, Mœbius, Baudoin, Bilal, Götting, Loustal… 185 Auteurs versus les Héros de bande dessinée. Moi je conçois des livres, pas des albums…

La librairie Futuropolis est ouverte et publique. Il suffit de pousser la porte. Elle attire les curieux d’images en tous genres… artistes, producteurs, cinéastes, acteurs, entrepreneurs … C’est pourquoi nous voyons défiler Fellini, Mastroianni, Catherine Deneuve et Pierre Lescure. Puis le documentariste Chris Marker qui me demande mon premier générique pour son film Le fond de l’air est rouge, le réalisateur Alain Resnais des affiches, puis les chanteurs Eddy Mitchell, Dick Rivers, Michel Jonasz… leurs pochettes de disques… Tout ceci dans ce coin perdu du 15ème arrondissement de Paris.

Comment est née votre collaboration avec Canal+, collaboration qui a duré de 1984 à 2009, et en quoi a consisté votre travail pour cette chaîne qui s’est distinguée dès sa création par son ton nouveau, la créativité de ses programmes et émissions ? Et quelles sont les autres créations graphiques qui ont été déterminantes dans votre parcours ?

Ce sont toutes ces rencontres (riches rencontres) qui vont déterminer mon parcours. Pierre Lescure m’attire en 1981 sur Antenne2 pour créer « les enfants du rock », surtout parce que je n’ai pas la télé et qu’il aime bien la façon dont je réalise mes bouquins. Puis il me fera venir à Canal+, en 1984, entre copains, avec tous ceux qui sont à l’origine de la chaîne : Alain de Greef, Mathias Ledoux, Antoine de Caunes, Alain Chabat, Jean-Pierre Dionnet, Philippe Manœuvre… À Canal+, au début ça ne marche pas très bien, on est peu payé, je suis alors sollicité par Jean Drucker le président de M6 pour créer le logo de la chaîne. Pierre Lescure me dit : fais-lui son truc, ça te fera des sous… C’est un robinet à clips… dans 6 mois on n’en reparlera plus…M6 existe toujours et avec le même logo que j’ai créé !

L’aventure Canal+ durera 25 ans. Je mettais mes yeux, et ceux de mon équipe partout pour apporter une reconnaissance immédiate sur tous les supports. Tous les écrans, toutes les émissions, aux bureaux, aux dossiers, aux parkings, dans tous les services, tous les pays (11), toutes les filiales (247), les magazines… les affiches de pub, la communication interne et externe… l’esprit canal !

Les liens de Canal+ vont me mener vers d’autres aventures, le PSG, le parc des princes, le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) pendant 20 ans, puis uniFrance, puis le Festival de Cannes, puis l’atelier d’écriture Équinoxe avec Jeanne Moreau…

Les fédérations sportives, le football, le handball, le basket, et même le billard !

À chaque fois des visages et des gens nouveaux avec des problématiques inédites et tellement différentes… j’aime ça ! Trouver la bonne réponse visuelle et claire à une question souvent abstraite.

Avez-vous des formes, des alphabets, des couleurs, des objets qui vous inspirent particulièrement dans vos créations ?

J’avoue que les formes géométriques simples et nettes (ronds, ellipses, carrés, rhombes, rectangles), avec des couleurs primaires et des accords chromatiques complémentaires, soutenant des mots composés avec des lettres d’alphabets bâtons ou avec des empattements bien gras m’enchantent.

En effet, dans mon travail, peu de camaïeux, de tons sur tons, de dégradés vaporeux et de textes dansants à la limite de la lisibilité.

Quels sont les fondamentaux que vous enseignez à vos étudiants ?

J’enseigne depuis 1996 à Penninghen, l’école de direction artistique et d’architecture intérieure qui se situe à Paris dans les locaux de la prestigieuse Académie Julian, fondée en 1868 par le peintre Rodolphe Julian.

J’aime la pédagogie, très utile dans mon travail. Bien formuler la question qui permettra d’amener la bonne (et l’unique !) réponse.

Les (nos) 3 fondamentaux : forme, couleur, typo.

Ne surtout pas chercher à mettre du sens, là où, souvent, il n’y en a pas. C’est un mal français de vouloir mettre du sens partout !

Une bonne affiche c’est celle qui amène du monde au spectacle d’un théâtre perdu au fin-fond d’une banlieue.

Il faut la voir (chatouiller la rétine avec un accord harmonieux et un contraste vif).

Il faut faciliter l’accès (la station de métro, les jours, l’horaire, le prix du ticket…)

Il faut être original (pour éveiller l’attention…)

Il faut qu’elle soit belle (agréable à l’œil) mais en dernier lieu !

On n’est pas là, uniquement pour faire joli, mais pour mieux vendre !

La bonne affiche c’est celle qui fait venir du monde ! et pas seulement un joli poster !

En quoi consiste votre monographie publiée en octobre dernier ? Quelle est la finalité de cet ouvrage, véritable bible, qui retrace votre travail sur près d’un demi-siècle ?

Le livre « étienne+robialalphabets+tracés+logotypes » est destiné à tous mes amis clients et commanditaires, et à tous mes collaborateurs et associés. Il retrace de façon quasi exhaustive tous les travaux que j’ai pu réaliser en 50 ans avec eux. Ici, je les remercie. Des choses connues, des moins connues, des inédites jamais abouties, pour de gros groupes industriels comme de petites entreprises, des grandes institutions et aussi des petites associations, des célébrités comme des illustres inconnus, de gros budgets comme de moindres. Tous, sans exception, m’ont procuré un plaisir immense à les réaliser.

Mon grand luxe : c’est ne n’avoir jamais accepté de participer à un projet qui ne m’apporterait pas une satisfaction inédite. Je suis convaincu que mes interlocuteurs en étaient conscients (et reconnaissants).

Ce livre est aussi, et surtout destiné à tous mes élèves. Pour leur montrer que notre métier est un métier formidable, qu’il peut apporter d’énormes satisfactions. Il a des règles, un mode d’emploi, des astuces, des ficelles, mais aussi des pièges… Ce métier peut faire vivre, même bien vivre, mais il faut être honnête, il ne faut pas tricher avec les images. Elles sont très et trop fortes ! Ce livre est un partage avec eux.  

En conclusion de cet entretien, parlez-nous de la prochaine exposition qui vous sera consacrée en 2022.

Une grande exposition me sera consacrée au m a d (musée des Arts Décoratifs), rue de Rivoli à Paris, en octobre 2022. Sur 780m2, dans l’espace revisité par l’architecte Jean Nouvel.

Elle présentera tout mon travail, comme dans le livre, mais avec mes collections.

Je suis collectionneur d’objets qui entretiennent avec mes réalisations, des liens étroits ou des passerelles. Des livres de graphistes, des plaquettes, des cartons, des affiches, mais aussi des cafetières du Bauhaus, des catalogues de musées, des chaises, des boules et cubes en bois, des signaux routiers, des lampes, des verreries, soufflées, coulées, des jeux d’assemblage, les outils du graphiste, des porte-mines, des règles, des tés, des équerres, des crayons, des taille-crayons, des gommes,des compas… et bien sûr des alphabets, sur papier, en zinc, en céramique et des pots de confitures (Lenzbourg). 

Tous ces objets aideront à rendre les évidences qu’il y a entre les pochettes de disques, les génériques, les logotypes, mes éditions et celles des autres.

NB: Nos remerciements à l’éditeur Julien Magnani pour nous avoir fourni les planches qui illustrent cet entretien.

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