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Entretien avec Laurent Stocker, Sociétaire de la Comédie-Française par Milvia Pandiani-Lacombe

Laurent Stocker est un comédien qui suscite l’admiration de par son parcours artistique plusieurs fois récompensé, incroyablement riche et diversifié aussi bien au théâtre, au cinéma, qu’à la télévision. Ce comédien exceptionnel, 511e sociétaire de la Comédie-Française, est souvent défini comme éclectique et caméléon car sa capacité d’interprétation dans des registres variés ne connait aucune limite. C’est aussi une personnalité attachante, à l’écoute, qui nous fait l’immense plaisir de répondre à cet entretien pour l’Alliance Française de Trieste.

Quand est née votre passion pour le jeu, la scène, le théâtre et qu’est-ce qui vous a décidé de vous y consacrer ?

Ma passion est née très tôt alors que j’avais sept ans environ… J’ai décidé d’être comédien et je n’ai plus jamais changé d’avis. J’avais du côté maternel une famille d’origine italienne assez fantasque… Mon grand-père maternel animait les bals et les mariages, il jouait de plusieurs instruments dont de la batterie et de la clarinette et c’était un acteur né même s’il n’a jamais exercé cette profession

J’étais assez admiratif de sa personne. Il se déguisait souvent et il aimait jouer la comédie.

Très jeune à l’école, j’ai joué Molière et mes professeurs m’ont beaucoup encouragé à exercer cette profession. J’avais toujours 20 sur 20 quand il s’agissait de dire un texte ou d’interpréter un personnage devant les autres camarades de la classe. Cela compensait ma nullité en mathématiques.

Plus tard, je me suis inscrit dans un cours privé de théâtre puis j’ai tenté le concours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris que j’ai eu du premier coup à 20 ans, et cela m’a conforté dans mes choix.

Quels enseignements vous ont apportés vos trois années au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, comment avez-vous vécu cette période ? Y avez-vous fait des rencontres déterminantes pour votre parcours artistique ?

Le Conservatoire national supérieur d’art dramatique est une école absolument magnifique : j’en garde un souvenir ébloui et ému.  Mes professeurs… Daniel Mesguich, Madeleine Marion, et Philippe Adrien.

Nous avions aussi l’enseignement de l’histoire du théâtre par Robert Abirached.

Daniel Mesguich m’a appris que l’on pouvait tout faire sur scène…Madeleine Marion a creusé mes failles sur le théâtre de Paul Claudel que je n’aimais pas particulièrement avant que de le travailler avec elle.

Et Philippe Adrien m’a fait confiance pour mettre en scène… Nous avons fait un atelier d’élèves : Victor ou les Enfants au pouvoir de Roger Vitrac que j’ai mis en scène avec mes camarades. La pièce s’est jouée plus de cent fois en tournée et au Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes.

Une autre rencontre déterminante : celle de Georges Lavaudant. Il m’a appris la poésie sur scène… Une importance capitale !

Mais les rencontres déterminantes se sont faites aussi dans la classe : des amies, des amis, que j’ai gardés pour la vie ! C’est l’âge de tous les possibles !

Comment s’est passée votre entrée en 2001 à la Comédie-Française, la Maison de Molière, institution fleuron du Théâtre français ?

Mon entrée à la Comédie-Française est née fortuitement … Dans les années 2000 j’étais avec ma petite amie en tournée en Amérique du Sud. Elle jouait dans Les Fourberies de Scapin pièce mise en scène par Jean-Louis Benoit avec qui j’avais déjà travaillé. Moi, j’étais en vacances. Un camarade de la distribution, Alexandre Pavloff a dû être opéré urgemment. Jean-Louis m’a donc proposé tout naturellement de le remplacer. C’était le rôle d’Octave.

Jean-Pierre Miquel, alors administrateur de la Comédie-Française, m’a fait demander par le biais d’une actrice si je voudrais entrer comme pensionnaire : non ! J’avais d’autres projets ailleurs.

Un an plus tard, Marcel Bozonnet, alors nouvel administrateur me réitère la proposition. Après un long café de deux heures en sa compagnie, et voyant sa programmation, cette fois ce fut : oui !

C’était il y a 20 ans !

Qu’est-ce que cela signifie devenir Sociétaire de la Comédie-Française ? Comment avez-vous reçu votre nomination de 511e sociétaire en 2004 ?

Devenir Sociétaire de la Comédie-Française, c’est devenir membre de la Société des Comédiens-Français.  On signe un contrat devant notaire ! C’est un acte fort et c’est aussi un sacerdoce.

On passe plus de temps au théâtre qu’à la maison.  On surnomme cet endroit la ruche, et ce n’est pas anodin !

J’ai reçu la nouvelle de ma nomination comme un cadeau … empoisonné. J’étais là depuis 2 ans. Cela signifiait que je devais donc rester au moins huit ans de plus car ce sont des contrats de 10 ans puis de 5 ans renouvelables… mais je ne regrette rien car les années passent là-bas avec la fulgurance de l’éclair ! J’étais heureux et flatté qu’on me nomme si vite et en même temps j’avais peur…

Quels sont les rôles du répertoire que vous avez joués qui vous ont le plus marqué ?

 J’ai eu la chance de jouer beaucoup, de beaux rôles, et souvent des principaux.  Ceux qui m’ont le plus marqué furent Figaro dans le Mariage de Figaro, Arturo Ui dans La Résistible Ascension d’Arturo Ui et également Vania dans Oncle Vania. Pour ne citer qu’eux. Mais j’ai un souvenir magnifique aussi de mon rôle d’Antoine dans Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce.

Florence Viala, Laurent Stocker dans La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht, mise en scène Katharina Thalbach, Salle Richelieu, 2017.            © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Laurent Stocker, Florence Viala dans Vania d’après Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mise en scène Julie Deliquet, Théâtre du Vieux-Colombier, 2016.
© Simon Gosselin, coll. Comédie-Française

Julie Sicard, Catherine Ferran, Elsa Lepoivre, Pierre Louis-Calixte, Laurent Stocker dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Michel Raskine, Salle Richelieu, 2008. © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Le cinéma occupe une place importante dans votre parcours artistique et vous collaborez avec des réalisateurs aussi divers que Claude Berri, Danièle Thompson, Pierre Schoeller, Axelle Ropert, Valeria Bruni Tedeschi …Comment choisissez-vous vos rôles ?  Avez-vous un modèle parmi les acteurs ?

Pour le cinéma ou la TV, je choisis mes rôles en fonction des réalisateurs, du scénario, de l’importance du rôle et du choix des autres acteurs. Il faut être sûr de bien s’entendre avec les autres partenaires !! C’est essentiel !!

J’ai fait parfois des choix de film dits « films commerciaux » je ne regrette absolument pas ces choix. Il est très important de se diversifier, beaucoup de comédiens, dont les anglais, ont compris cette chose depuis longtemps. En France nous sommes encore un peu trop cloisonnés.

C’est un grand acteur aujourd’hui disparu malheureusement, qui est pour moi un modèle par sa capacité à interpréter avec autant de talent des rôles comiques et tragiques : Michel Serrault.

Dans le film « Un triomphe » d’Emmanuel Courcol, sélectionné au Festival de Cannes 2020 et en compétition au dernier Festival du Film Francophone à Angoulême, vous interprétez le rôle d’un directeur de théâtre, aimeriez-vous un jour diriger un théâtre ?

 Oui cela m’intéresserait de diriger un lieu culturel… Et pourquoi pas de poser ma candidature pour diriger le Conservatoire national supérieur d’art dramatique.

Je trouverais intéressant de mener tambour battant des échanges internationaux.

Les artistes et les acteurs en particulier ont tellement de choses à apprendre… Il faut aller à la rencontre des autres cultures. Les échanges que j’ai pu faire avec des comédiens russes, argentins, brésiliens, etc…ont été d’une importance capitale pour moi.

Comment préparez-vous vos rôles au théâtre ? Quelle est l’influence de la personnalité d’un metteur en scène, de ses méthodes de travail, sur la préparation et l’interprétation d’un personnage ?

Pour préparer un rôle au théâtre, quand j’accepte ce rôle, je lis beaucoup de choses autour du personnage et surtout sur l’œuvre et sur l’auteur. J’essaye de gratter au maximum ce qu’il y a de thèses, de livres, d’émissions autour de l’auteur. Il faut connaître à fond l’auteur pour pouvoir ensuite travailler le rôle et en dégager toute la « substantifique moelle ». Il ne s’agit pas de dire simplement le texte…il faut faire entendre tout ce qui n’est pas écrit. En cela le metteur en scène ou la metteuse en scène a une importance capitale. Il y en a certains ou certaines qui vous portent et d’autres qui vous mettent la tête sous l’eau car ils n’ont pas assez travaillé. Ça peut être catastrophique… On peut toujours sauver les meubles mais un metteur en scène absent ou qui fait du mauvais travail emmène son équipe dans un mauvais travail également.

Avez-vous d’autres passions que le cinéma et le théâtre ?

Je suis un passionné ….

Depuis l’adolescence je fais de l’astronomie. J’ai un télescope à la campagne et je suis abonné à des revues spécialisées d’astronomie.

Je suis également passionné d’œnologie et j’ai d’ailleurs suivi deux ans de cours d’œnologie au musée du vin à Paris.

J’ai également beaucoup d’amis cuisiniers…

D’ailleurs ne dit-on pas que « de tous les arts, l’art culinaire est celui qui nourrit le mieux son homme ? ».

En cette période inédite du fait de la pandémie comment s’est organisé votre travail à la Comédie-Française pendant sa fermeture, qui a privé les comédiens de la présence du public en salle ?

Pendant cette période particulièrement pénible pour les artistes entre autres, nous avons développé avec la Comédie-Française une chaîne Web : la Comédie continue ! Cela a donné lieu à la diffusion de nombreuses captations théâtrales et également plus de 1000 pastilles que nous avons réalisé chez nous. Cela allait de la lecture de textes à repasser le bac français … Tous les acteurs se sont pliés au jeu et ce fut prolifique…Plus récemment et moins drôle :  j’ai répété deux mois le rôle de Wangel dans La Dame de la mer d’Henrik Ibsen, pour le Vieux Colombier, que nous ne pouvons malheureusement pas jouer en public.

Quels sont les prochains rôles que vous allez interpréter au théâtre, au cinéma ou à la télévision ?

J’ai commencé le 8 mars dernier à répéter Le Bourgeois gentilhomme pour la salle Richelieu… Je vais jouer Covielle :  un rôle que j’ai déjà joué il y a 20 ans lorsque je suis entré dans la maison de Molière… C’est amusant 20 ans plus tard de jouer le même rôle, dans une autre mise en scène et cette fois-ci ce sera celle de Christian Hecq et de Valérie Lesort.

Je prépare également la saison 2 de Jeux d’influence pour Arte, réalisé par Jean Xavier de Lestrade, une série politique où je tiens l’un des rôles principaux, celui du député Guillaume Delpierre, engagé dans la lutte contre les pesticides.

Je travaille souvent aussi avec des orchestres comme récitant. J’ai un projet avec la Philharmonie autour d’Aladdin… Et je vais également faire le soldat dans L’Histoire du soldat de Stravinsky.

J’ai également plusieurs projets de longs-métrages mais ils ne sont pas encore définitifs car la période est complexe pour finaliser la production des films.

Je viens de finir le tournage de Goliath, de Frédéric Tellier où je suis en binôme avec Pierre Niney.

En 2022 la Comédie-Française fêtera les 400 ans de la naissance de Molière, quelle est la pièce que vous aimeriez jouer pour le célébrer ?

J’aimerais beaucoup jouer Tartuffe pour les 400 ans de la naissance de Molière… le rôle de Tartuffe…

C’est une pièce que Molière aimait particulièrement et qui a tellement été censurée et interdite à l’époque. Le retour mondial de l’obscurantisme et des fanatismes religieux lui donne toujours une belle actualité…

 

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